Coïncidence, lorsque je reçus ce livre, je venais de lire dans la page Idées du Figaro du 19 avril la recension par Éric Zemmour de celui de Philippe Ratte De Gaulle et la République. Sur bien des plans j’apprécie beaucoup Zemmour. Sauf que je ne partage pas son nationalisme selon moi trop jacobin et encore moins sa gaullophilie.
J’avais donc fait un effort pour lire jusqu’au bout son papier globalement élogieux sur le travail de Ratte.
Ce dernier, nous apprend-t-il, est agrégé d’histoire et membre du conseil scientifique de la Fondation de la France libre. Il l’épingle tout de même sur un point, celui d’une évidente contradiction entre deux affirmations.
Ratte écrit en effet d’une part qu’« il faut aujourd’hui, à l’épreuve du temps, une dose de mauvaise foi ou de cécité volontaire dépassant le bon sens » pour imaginer « De Gaulle tapi dans l’ombre pour ourdir un coup d’État via des séides en Algérie ».
Allusion évidente au 13 mai 1958 pour en nier, au mépris des faits totalement établis, tout complot à l’origine. Comme si De Gaulle n’avait pas été au courant de ce que concoctaient les Soustelle, Delbecque et Biaggi pour le ramener au pouvoir, croyant ainsi, grâce à lui, sauver l’Algérie française.
Zemmour, ne faisant pas du gaullisme angélique, lui réplique : « Il se trouve qu’on l’imagine très bien justement, encourageant de son silence approbateur et machiavélique les putschistes de l’opération Résurrection… » (celle du 13 mai).
Il ne manque évidemment pas de relever que Ratte écrit d’autre part : « Pour l’Algérie, De Gaulle a menti à tout le monde… et c’est précisément en cela qu’il mérite l’admiration ».
Machiavélien pour Zemmour, admirablement menteur pour Ratte, ces jugements finalement très convergents mettent en avant les drôles de vertus gaulliennes. Ces vertus, mises en œuvre par le général pour abandonner l’Algérie dans les conditions et de la manière que l’on sait.
Je n’aime pas pour ma part l’exaltation du machiavélisme. Je préfère saint Louis à Machiavel. Je n’aime pas ceux qui mentent à tout le monde.
Mais le pire des machiavélismes n’est-il pas de surcroît d’être inutilement mis en œuvre, nullement pour le bien de l’État mais pour la pire des politiques ?
Car, certes, hors de tout angélisme, je ne confonds pas les ordres de la morale et de la politique. Et je sais bien que celle-ci n’est pas affaire d’enfant de chœur.
Mais, rien, strictement rien, politiquement, ne pouvait excuser le choix délibéré, sans la moindre nécessité, dans la plus totale indifférence à des dizaines de milliers de crimes dans d’indicibles cruautés, de la pire des solutions : pour l’abandon de l’Algérie.
Oui, De Gaulle, avec une armée française victorieuse et puissante, avait tous les moyens pour éviter que l’indépendance de l’Algérie ne s’accompagne pas de son propre crime contre l’humanité, la non-assistance, délibérée, à des populations de compatriotes vouées aux pires abominations. Aussi ne puis-je comprendre que Zemmour en rajoute si souvent dans son encensement politico-historique de ce personnage dont le bilan est tout de même si discutable encore par ailleurs, voire si négatif, ne serait-ce que sur les plans de l’éducation nationale et de la culture abandonnées à la gauche.
Au moment de la réception du livre de Danièle Masson, au titre élogieux pour Zemmour, j’étais donc un peu bougonnant, pas trop empressé de le lire, ce dernier m’ayant donc encore agacé avec son récent article précité. Et si je ne doutais pas sur cette question de la non-inconditionnalité de Danièle, je craignais néanmoins de la trouver un peu trop indulgente.
La providence voulut aussi qu’en la même période, ouvrant ma télé, je tombe sur une émission avec Zemmour.
Il était à l’évidence fatigué, peut-être épuisé, cependant il mobilisait superbement tout ce qui lui restait d’énergie pour pourfendre le relativisme nihiliste et le laïcisme. Il défendait non seulement les valeurs du Décalogue et de notre civilisation judéo-chrétienne mais encore la légitimité de l’expression culturelle de son identité catholique : cette identité que, contre l’État de Bavière, venaient d’attaquer laïcratiquement le cardinal Marx et ses autres comparses dans l’Église.
Ainsi, nonobstant son irritant gaullisme, je retrouvais le Zemmour en effet insoumis sur l’essentiel, le Zemmour que j’aime.
Je dévorai alors avec appétit le récit de son itinéraire par Danièle Masson. Vérifiant vite, avec plaisir, dès la page 39, l’expression de l’incompréhension de cette dernière sur le surprenant propos de Zemmour, pourtant « Juif Berbère, fils de rapatrié d’Algérie », parlant d’une « décolonisation réussie » (sic !) à propos de l’indépendance de l’Algérie.
Comment son gaullisme pouvait-il ainsi conduire le brillant Zemmour à un pareil déni de réalité ? Mystère.
Mais il nous faut bien passer sur cela tant le personnage mérite par ailleurs de l’admiration pour son talent de pourfendeur des mensonges et des conformismes contemporains. Danièle Masson nous le campe, je crois, très véridiquement dans tout son cheminement de journaliste, de romancier, d’écrivain et d’historien, passionnément amoureux de la France et de sa civilisation.
Comme pouvaient l’être jadis à Rome les jeunes Berbères romanisés dont l’un deviendrait saint Augustin.
Zemmour, insécablement Juif berbère et patriote français, ne deviendra peut-être pas un saint catholique. Mais il affirme avec un courage que n’ont pas tous les penseurs catholiques « la prééminence culturelle du christianisme ». Bien plus, selon Danièle Masson, il ne dissimule point, par-delà sa sympathie civilisationnelle, l’attraction de nature spirituelle qu’il peut éprouver pour la religion du Christ.
Elle rappelle ainsi que dans son roman Petit frère, il fait dire ceci à l’un de ses personnages : « Le catholicisme accomplit une transgression inouïe, avec l’idée d’incarnation et de fils de Dieu et l’incroyable subversion de la loi par l’Amour. »
Il me souvient à ce propos d’une conversation sur ce point, il y a longtemps, avec Zemmour. J’ai le clair souvenir qu’après un bon échange il me dit à peu près ceci : « Finalement, ne peut-on pas observer que nous les juifs, nous insistons plutôt sur l’importance de la Loi et vous les chrétiens plutôt sur celle de l’Amour ? ».
Zemmour quant à lui, avec son amour de la France, transgresse allègrement non la loi mais la plupart des conformismes du politiquement correct et de ses mensonges. C’est pour cela qu’on l’aime. Merci à Danièle Masson de nous en avoir bellement dépeint son itinéraire.
Bernard Antony
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