Beccaria, Voltaire et Napoléon. L’étrange humanisme pénal des Lumières

Auteur : Xavier Martin

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Beccaria, Voltaire et Napoléon. L’étrange humanisme pénal des Lumières

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Xavier Martin vient d’écrire un nouveau livre : Beccaria, Voltaire et Napoléon. Dans ses précédents ouvrages, cet historien du droit, professeur émérite à l’Université d’Angers, a eu le grand mérite de nous montrer la philosophie dite des Lumières et la Révolution française d’une tout autre façon que celle qui est présentée habituellement. De l’école primaire jusqu’à l’université, nous n’entendons d’elles qu’éloges et dithyrambes, alors que la vérité nous force au contraire à en reconnaître les défauts et les crimes. Xavier Martin, dans son dernier ouvrage, s’attaque à cette idée répandue que la Constitutante aurait voulu un droit pénal plus humain, mais que les codes napoléoniens (ceux de 1808 et de 1810) auraient durci la répression, gâchant ainsi l’œuvre prétendument libératrice de l’ « humanisme » du début de la Révolution. Selon Xavier Martin, le mot même d’humanisme est bien inadéquat, c’est d’utilitarisme qu’il faudrait parler, car de la Constituante à Napoléon, la mentalité en matière pénale est identique, même si l’on est passé d’une critique de la peine de mort avec Beccaria à un large usage de ladite peine avec Robespierre et Napoléon.

Beccaria

Beccaria est devenu célèbre avec son ouvrage Des délits et des peines, lequel a été traduit en français (très infidèlement) par l’abbé Morellet. Chacun sait que dans ce livre Beccaria soutient que la peine de mort est inutile et qu’il faut conséquemment y renoncer. Badinter, lors de l’abolition de cette peine en 1981, n’avait d’ailleurs pas manqué de se réclamer de Beccaria. Xavier Martin nous apprend cependant que Beccaria n’a jamais été un abolitionniste intransigeant : la peine de mort est même souhaitable, selon l’écrivain italien, dans certains cas, quand il y a du désordre social ou quand elle est le seul frein (« il vero ed unico freno ») pour empêcher d’autres délits. Sous son influence la Constituante réduit les cas où la peine de mort peut être appliquée. Robespierre va même déclarer, en mai 1791 : « Écoutez la voix de la justice et de la raison, elle nous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme condamné par d’autres hommes sujets à l’erreur. »

La guillotine

Si donc la peine de mort est tout de même maintenue, elle est, dans l’esprit des membres de la Constituante, adoucie par l’adoption de la guillotine. Son inventeur aurait en effet affirmé, lors d’un discours à la Constituante : « Messieurs, avec ma machine, je vous fait sauter la tête en un clin d’œil, et sans que vous éprouviez la moindre douleur ». Certes, l’efficacité de la guillotine ne fait aucun doute, qu’elle soit sans douleur, le fait sera contesté par d’autres médecins ; mais cette machine, loin de ne servir que pour les cas criminels, verra son usage étendu à la répression politique ; son utilisation, écrit Xavier Martin, va « en nombre croissant jusqu’à l’exponentiel ».

Les massacres

La guillotine cependant est loin d’être le seul moyen de tuer. Xavier Martin rappelle les massacres de civils ou de militaires prisonniers perpétrés par les armées révolutionnaires en Vendée, puis évoque ceux faits sous le commandement du général Bonaparte, faisant la guerre, d’abord en Italie, puis au Proche-Orient. En 1796, non loin de Pavie, à Binasco, en représailles de soldats français tués, le général Lannes fait exécuter une centaine de paysans, et Bonaparte lui-même ordonne d’incendier le village. En 1799, lors de la prise de Jaffa, Bonaparte fait exécuter tous les prisonniers, soit près de 4 000 hommes.

La notion d’utilité

Ce n’est pas que Xavier Martin, ainsi qu’il le précise lui-même, veuille « amalgamer, à la matière pénale interne […] le problème des exactions militaires », le véritable objet de son livre est de montrer que c’est la même mentalité qui est à l’œuvre, de Voltaire à Napoléon. Xavier Martin considère, mettant en avant de nombreux arguments, que le philosophe Helvétius est le père spirituel de Beccaria. Helvétius, explique Xavier Martin, « réduit l’homme à la matière, et sa vie intérieure à une chimie de sensations ». Point de libre arbitre donc, puisque que les pensées de l’homme ne sont que l’expression de son organisation physique. En matière pénale, une telle approche équivaut à minimiser, voire à exclure, l’idée d’intention, laquelle présupposerait le libre arbitre. On comprend dès lors pourquoi Beccaria considère la peine de mort comme inappropriée ; ce qui compte c’est de dissuader le public, il faut remplacer une mort forcément brève par une longue et pénible détention, laquelle est plus efficace. Il est nécessaire de frapper l’imagination, c’est-à-dire les sens : « Il faut un spectacle terrible pour contenir le peuple », dit Tuault de la Bouverie à la Constituante.

Ainsi la notion d’utilité (ou sa variante l’intérêt) est-elle la clé de la philosophie pénale de cette époque. On voit pourquoi Xavier Martin associe Beccaria, Voltaire et Napoléon, il y a en eux cette idée fondamentale des Lumières, particulièrement illustrée par Helvétius : l’homme n’est qu’une sorte de machine, où tout est réglé (ou déréglé) par les sensations. Il faut donc frapper, être répressif, de sorte que l’imagination soit touchée. Nous n’avons plus là une philosophie pénale qui tiendrait compte, outre le bon ordre de la société, de l’individu en tant que personne morale, nous avons là un déploiement de l’idée d’utilité, avec toute l’inhumanité que cette idée peut avoir. Xavier Martin insiste : « La valeur clé, effectivement, pour les Lumières ? L’utilité. Les mots décisifs pour la Constituante ? Efficacité, exemplarité ».

Voltaire et Napoléon

On peut remercier Xavier Martin de s’être penché, en tant qu’historien, sur les présupposés idéologiques et philosophiques du droit pénal révolutionnaire et napoléonien. Son livre s’appuie sur de nombreux documents, les archives parlementaires sont particulièrement citées ; la correspondance de Napoléon est souvent sollicitée afin de mieux saisir une certaine continuité intellectuelle entre Voltaire et l’Empereur. L’objet de l’ouvrage néanmoins ne permettait pas des approfondissements qui eussent entraîné trop loin ; si Xavier Martin, par exemple, rapproche Helvétius et Diderot, ce qui est légitime jusqu’à un certain point, il n’en demeure pas moins que le second a vivement critiqué le premier. Enfin, le lecteur pourra avec profit compléter la lecture du livre de Xavier Martin, en lisant un contemporain de l’époque qu’il étudie : dans les Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre avait déjà expliqué que la philosophie dite des Lumières n’aboutit qu’à un matérialisme utilitariste, réduisant l’homme à une machine.

Marc Froidefont

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