La longue marche des catholiques de Chine

Auteur : Yves Chiron

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La longue marche des catholiques de Chine

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Au mois d’octobre 2018, Yves Chiron publiait une très intéressante plaquette constituée par les pages de son journal de ce même mois, (qu’il tient, au jour le jour, depuis l’âge de dix-huit ans !), rédigées lors du séjour qu’il venait de faire en Chine, à Hong Kong (via Taïwan).

Il y évoquait notamment sa rencontre, deux heures durant, avec le cardinal Zen exprimant sa tristesse après « l’horrible » Accord provisoire du 22 septembre passé entre le Vatican et le gouvernement chinois. Cet accord stipule en effet l’intégration de l’Église catholique en chine fidèle à Rome, (« clandestine » car persécutée par le pouvoir) dans l’Association Patriotique Catholique Chinoise (APCC), courroie de transmission du parti communiste.

En décembre 2018, Yves Chiron a courageusement passé un nouveau séjour, cette fois dans le diocèse de Wenzhou, rencontrant notamment une communauté de religieuses « clandestines », la congrégation apostolique du Sacré-Cœur de Jésus.

S’étant ainsi en quelque sorte rendu au cœur de la réalité de son sujet, il a parachevé son dernier livre : La longue marche des catholiques de Chine, titre qui fait évidemment allusion à la célèbre « Longue marche » de l’épopée de Mao Tsé-Toung le plus grand exterminateur du XXe siècle, devançant au nombre des victimes de son communisme les non moins monstrueux Hitler et ceux de la trinité soviétique du mal (Lénine – Staline – Trotsky).

Chiron a eu la bonne idée de ne pas s’en tenir à la seule tragédie des catholiques et plus largement des chrétiens chinois en régime communiste depuis bientôt trois quarts de siècle. Celle-ci est certes, en durée, en nombre de victimes et en systématisation idéologique d’une ampleur sans précédent. Mais il rappelle par exemple que la révolte des Boxers en 1900 ne fut pas seulement motivée par la haine de l’étranger mais aussi par une violente haine du christianisme catholique ou protestant.

Ainsi, « les historiens estiment que 30 000 catholiques, la plupart chinois, furent tués durant cette révolte ». Et avec eux « quatre évêques occidentaux et trente-et-un missionnaires ».

Le christianisme, dès 65

La majeure partie de l’ouvrage de Chiron consiste ainsi en une présentation des principales périodes et des faits marquants de la vie et des épreuves du catholicisme en Chine, celle des missionnaires et celle des communautés évangélisées, les premières remontant probablement au Ier siècle. La « route de la soie » pratiquée dès l’antiquité, si modernement réactualisée aujourd’hui dans la politique expansionniste de Xi Jinping, fut sans doute autant que la voie maritime l’itinéraire d’accès en Chine d’une continuité missionnaire chrétienne durant des siècles.

Les érudits Pierre Perrier et le père Jean Charbonnier rejoignent les conclusions du Père Yen, assomptionniste d’origine chinoise (1920 – 2009) selon lesquelles « le christianisme a été introduit en Chine peu avant l’année 65, ce à quoi la présence en Chine de communautés juives enrichies au commerce de la soie ne fut pas étrangère ».

Est-ce parmi eux que l’apôtre Saint Thomas fit ses premiers convertis au christianisme à leur tour convertisseurs de Chinois dont ils parlaient la langue ? Chiron évoque les élans missionnaires des Églises d’Orient, bénéficiant pendant deux siècles de la tolérance de la dynastie Tang. Et puis ce fut l’hostilité, sous l’influence des confucéens et taoïstes de l’empereur Wusong, un des derniers de la dynastie, promulguant en 84 un édit de bannissement du bouddhisme qualifié de « religion étrangère », édit étendu aux autres religions (manichéisme, zoroastrisme, christianisme).

Par milliers, comme en 1880 en France, les moines chrétiens prirent les chemins de l’exil ou se sécularisèrent. Et puis le christianisme revint en Chine sous l’élan des missionnaires nestoriens, par la route de la soie. Ces derniers allaient aussi évangéliser les Mongols, si bien qu’à la suite de la conquête mongole au XIIIe siècle le christianisme nestorien reprendra vigueur en Chine.

Chiron évoque l’envoi par Saint Louis, en 1253, d’un ambassadeur, le franciscain Guillaume de Rubrouck, auprès de l’empereur Möngke, petit-fils de Gengis Khan.

L’histoire du catholicisme en Chine et du christianisme en général sera ainsi celle d’une alternance de moments de liberté et de moments de répression. Chiron cite le père Charbonnier qui, traitant de la politique religieuse de l’empire chinois au début du XIXe siècle, l’éclairait par le concept confucéen de « shou-fang », littéralement « retenir-relâcher ».

C’est une histoire passionnante, émouvante que celle du catholicisme en Chine, celle des missionnaires comme celle des fidèles, Église tantôt en expansion magnifique tantôt aux élans atrocement brisés par la persécution.

Chaque ordre missionnaire, les Franciscains, les Dominicains, les Jésuites, les Lazaristes, les Missions Étrangères, pour n’évoquer que les principaux, ont donné leur lot de martyrs et de saints et parmi eux, de plus en plus au fil des siècles, leurs religieux chinois.

De la querelle des rites à Mao

Chiron évoque avec clarté les grandes difficultés internes de l’Église catholique en Chine : « la querelle des termes », et la « querelle des rites », et la question de la messe en chinois.

La première, c’était sur le choix des mots : comment traduire en chinois des concepts occidentaux et des mots au premier abord intraduisibles, incompréhensibles par les Chinois ? Comment, en tout premier, traduire le nom de Dieu, que n’exprime seul aucun mot chinois ? Ce fut là une des premières tâches apostoliques auxquelles s’attela le célèbre jésuite Mateo Ricci. On lira comment fut finalement retenu, après lui, et désormais, un des termes qu’il avait proposés : Tianzhu (« Seigneur du ciel »). La question de la messe en latin ou en chinois ne fut pas plus simple à résoudre. Celle des rites portait sur l’attitude à adopter par les catholiques par rapport aux rites de la sociabilité confucéenne selon qu’on les considérait comme expression d’un paganisme ou comme des simples formes de respect et de politesse. Tout cela ne relève pas d’un simple intérêt historico-religieux. En effet, la révolution maoïste avait largement repris contre le catholicisme des constantes d’argumentation utilisées par tous les régimes hostiles du passé. Et en premier lieu, l’accusation d’être une « religion étrangère ». S’y ajoutaient bien sûr l’athéisme et le matérialisme du marxisme-léninisme. La persécution du temps de Mao fut féroce, impitoyable, exterminatrice, éradicatrice de tout christianisme visible.

Et puis, après la mort du « phare de la pensée universelle » (Giscard d’Estaing) les choses, selon ses successeurs, avaient évolué d’une part vers la stratégie de la création d’une Église nationale totalement inféodée au parti mais avec la reconstruction de quelques lieux de culte et de formation ; de l’autre, une persécution maintenue de l’Église clandestine mais de différents degrés de cruauté selon les lieux et les moments, cela relevant de la pratique du « shou-fang » précédemment évoquée.

Jean-Paul II et Benoît XVI

Face à cela, la stratégie du Vatican fut différente selon les papes et leurs conseillers. Chiron rappelle que le premier geste de Jean-Paul II envers la Chine fut d’honorer ses martyrs et ses témoins de la foi en créant cardinal le 30 juin 1979 l’évêque de Shangaï, Mgr Kung Pin-Mei, qui était en prison depuis 1955. Mais, pour qu’il ne subisse pas de représailles encore pires que sa détention, le pape garda son nom secret (« in pectore ») jusqu’en 1991 après que Mgr Kung, libéré, ait pu en 1988 trouver asile aux États-Unis.

Mais dans les débuts du pontificat de Jean-Paul II, plusieurs évêques catholiques purent se rendre en Chine. Ce fut le cas du cardinal Koenig, archevêque de Vienne et, depuis longtemps, sous Paul VI, un des acteurs de l’Ostpolitik du Vatican axée sur une recherche complaisante de bonnes relations avec les pouvoirs communistes nonobstant les persécutions et les tortures des Tchékas, du Goulag et du Laogaï.

Le cardinal français Etchegaray, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France, s’appuyant sur les conseils d’un prêtre militant maoïste de son diocèse, Maurice Cassant, fut ainsi accueilli en Chine, flatté, émerveillé par les égards qui lui furent prodigués. Il était, écrit Chiron, « d’une naïveté confondante ; admirant “un peuple travaillant dans une harmonie qui s’inspire de l’art chorégraphique” » (sic !).

Le cardinal, qui écrira plus tard un bouquin de mémoires incroyablement titré J’avance comme un âne (resic !), fut alors « bluffé », manipulé comme l’avait été en son temps le ministre radical socialiste Édouard Herriot invité en URSS par Staline dont les services de propagande, le flattant comme on le fait d’un dindon, lui firent gober, en pleine période d’extermination des paysans par la faim, les choses les plus invraisemblables sur le bonheur du peuple soviétique.

Etchegaray, on s’en souvient, réédita pareille ânerie, lors de son invitation à Cuba où il trouva moyen de se faire conduire pour rencontrer un malheureux prisonnier condamné à des années de prison pour lui tenir d’insanes conseils de patience dans sa période de rééducation citoyenne.

Jean-Paul II ne poursuivit heureusement pas « l’ostpolitik » menée sous Paul VI par le cardinal Casaroli et assortie de pareilles complaisances cardinalices.

Pour autant, le grand pape polonais ne renonçait pas aux efforts diplomatiques pour tenter de desserrer partout les carcans des régimes communistes sur les chrétiens. Benoît XVI continua dans cette voie et en premier bien sûr pour essayer, en vue de l’unité des catholiques de Chine, d’obtenir des dirigeants chinois une attitude plus conciliante dans le rapprochement de l’Église catholique « clandestine » et de l‘Église catholique « officielle », et surtout sur les sacres des évêques.

L’accord secret

Il accepta, comme le rappelle Chiron, la suggestion du cardinal Zen de créer une commission pontificale permanente consacrée à la Chine, comme jadis Pie XII en avait créé une consacrée à la Russie. Après l’inattendue démission de Benoît XVI, son successeur le pape François nomma à la tête de la secrétairerie d’État Mgr Pietro Parolin afin de reprendre une ligne diplomatique dite « casaroliste ». En février 2014, Mgr Parolin fut créé cardinal. Concernant la Chine, le pape et le cardinal Parolin décidèrent de ne plus réunir la Commission créée par Benoît XVI. On lit avec grand intérêt la narration de Chiron de l’évolution des choses. Elle fut rapide, débouchant sur l’Accord Provisoire du Saint-Siège avec le gouvernement chinois, signé non pas par François et Xi Jinping mais par leurs représentants. Le texte intégral de cet accord n’a pas été publié à ce jour. Il a été présenté par Greg Burke, le directeur du bureau de presse du Vatican, comme le début d’un processus « permettant aux fidèles d’avoir des évêques en communion avec Rome mais en même temps reconnus par les autorités chinoises ».

Façon de présenter les choses.

Car les autorités chinoises ont bien précisé qu’il leur revenait de choisir les candidats que Rome pourrait nommer… Et à vrai dire que signifie aujourd’hui « être en communion avec Rome » ? « Rome », c’est-à-dire François. Et François n’appelle-t-il pas les catholiques chinois à être de « bons citoyens aimant pleinement leur patrie et servant leur pays avec engagement et honnêteté » ? Ainsi que le demande l’Association Patriotique Catholique Chinoise, rouage du parti communiste, qui entend continuer à exercer un contrôle strict sur l’Église « patriotique » et la maintenir de fait indépendante de Rome.

Le cardinal Zen avait exprimé sa totale réprobation de cet accord. Sur la couverture du livre de Chiron, est en exergue cette déclaration du cardinal : « C’est un accord qui va détruire l’Église catholique fidèle, qui va détruire l’Église clandestine ».

Désormais en effet, après l’accord, l’Église catholique « clandestine » ne peut plus exister, privée d’évêques que Rome ne nommerait pas puisque non reconnus par le parti. Le maître mot, souvent réitéré, de François n’est-il pas collaboration ?

Depuis l’Accord, non seulement la persécution a redoublé contre ce qui reste de l’Église catholique, clandestine certes mais libre, mais aussi contre l’Église dite « patriotique », l’Église doublement « officielle » et pour le parti de Xi et pour le Vatican de François.

Collaboration en effet. Pour le moment, dans la destruction. Le minutieux travail d’Yves Chiron nous aide à comprendre comment on en est arrivé là.

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