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Michael D. O’Brien : “L’Éclipse du soleil” et “La Mémoire du futur”
Plus de vingt ans après sa première parution en anglais, les éditions Salvator proposent la traduction française d’Eclipse of the Sun (L’Éclipse du soleil) de Michael D. O’Brien qu’elles ont fait paraître en deux tomes, le premier en octobre 2019, le second au mois de mai. Et c’est un bonheur !
Ces deux volumes se situent dans la saga des « Enfants des derniers jours » que les Français auront découvert par la fin, avec les remarquables Père Elijah qui montrent le monde aux prises avec un faux prophète, un dictateur apparemment bienveillant par lequel advient une nouvelle religion et une nouvelle société syncrétistes et avant tout anti-chrétiennes.
Faisant suite à Étrangers et de passage et au remarquable Journal de la Peste qui met en scène la tragédie d’un journaliste canadien rebelle face à la pensée unique et à toutes les idéologies bien-pensantes, LÉclipse du soleil met en scène son fils. « Arrow » Delaney, élevé dans une communauté hippie après que sa mère eut rompu avec un mari trop réactionnaire, devenu orphelin à son insu, se trouve malgré lui témoin d’éliminations gouvernementales et recherché par la police canadienne. Pour être « reprogrammé » ou éliminé à son tour…
C’est l’histoire de sa fuite tour à tour fantastique, onirique, terrifiante et édifiante que met en scène L’Éclipse du Soleil dans un Canada dystopique où tout semble normal – un monde exactement comme le nôtre en ce qu’il célèbre la soi-disant « différence » mais en muselant la dissidence, où l’État dispose de larges pouvoirs pour mater la population mais sans en faire un usage par trop ostentatoire.
Il y a un peu plus de vingt ans, au moment où le romancier Michael O’Brien, catholique revendiqué, écrivait ces lignes, bien des outils de répression et de contrôle étaient déjà en place : la possibilité de séparer des enfants de leurs parents si ces derniers étaient convaincus de ne pas les élever selon la doxa du jour, la législation de non-discrimination utilisée dans un sens « raciste » à l’encontre des tenants d’une pensée traditionnelle, les conciliabules de grands de ce monde qui se rencontrent périodiquement pour trouver des réponses à la surpopulation. L’épisode du COVID-19 aura montré que la tyrannie en actes est aujourd’hui encore plus facile à installer !
O’Brien incarne toutes ces réalités-là dans ses personnages fortement symboliques : du côté des « bons », Arrow, 10 ans, et la quête de son père dont il ne sait pas que le pouvoir l’a liquidé, de bonnes âmes pieuses venues d’Europe de l’Est, des prêtres sincères et centrés sur Dieu, même si quelques bonnes bouteilles viennent ponctuer leurs vies, d’autres plus modernes, plus « copains », plus naïfs à l’égard d’un gouvernement foncièrement hostile. Les héros se suivent et ne se ressemblent pas : l’un des plus attachants est justement une héroïne, grande fumeuse, haute en couleur, qui a sauvé un nouveau-né difforme de la déchetterie et en a fait son enfant. Cette « Alice » sauvera aussi Arrow des mains de la police, tout en trouvant timidement mais sûrement son propre chemin vers Dieu.
Côté mauvais, on saisit l’appât du gain, du luxe, et surtout du pouvoir qui peuvent transformer n’importe quel être humain en monstre – mais en monstre qui jusqu’au bout peut accepter de se laisser racheter. De telles tentatives avortées, venant des victimes sous les mains mêmes de leurs bourreaux, comptent parmi les plus belles pages du livre. Car chez O’Brien c’est toujours la relation entre le bien et le mal qui est véritablement au cœur du récit, toujours avec finesse et dans la possible espérance.
C’est d’ailleurs le sens exact du titre : L’Éclipse du soleil. Le livre se vit comme une plongée dans les ténèbres éclairée par la bonté de certains et le juste itinéraire spirituel du petit Arrow, mais le récit s’achève dans un havre isolé et imprenable de paix et de foi, où la lumière revenue promet d’éclairer de nouveau un jour le monde entier.
Ils sont si attachants, ces personnages, que j’avoue avoir bondi d’indignation à la fin de la lecture du premier volume en octobre dernier – où l’on découvre, sans s’y attendre, les mots désespérants : « à suivre ». J’ai préféré commander la version anglaise aussitôt, pour engloutir les 800 pages du roman tout entier et suivre l’aventure jusqu’au bout sans trop tarder !
L’arrivée du deuxième volume en français en librairie, avec son titre original La Mémoire du Futur, me permet de vous recommander les deux livres en bloc, pour une lecture estivale légère comme un récit d’aventures et profonde comme un jugement sur notre temps. Avec, toujours, le soleil qui reviendra.
Jeanne Smits
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